Le métissage du savoir-faire industriel entre l'Afrique et l'Europe
Enjeux et pistes d'action
Début octobre 2025, à Dakar, au Sénégal, plusieurs discussions ont eu lieu sur la question du métissage du savoir-faire industriel entre l'Afrique et l'Europe, en particulier concernant la participation du Sénégal et les autres pays africains aux chaînes de valeur industrielles internationales sophistiquées. Ces discussions se sont principalement concentrées sur la nécessité d’un changement guidé de mentalité, certes en Europe, mais aussi en Afrique, afin de favoriser une nouvelle dynamique.
Observations sur le transfert de compétences et les investissements
Un document "Le défi de la PME africaine dans les chaînes de valeur industrielles internationales" préparé en amont des réunions fait d’abord le constat que le gouvernement sénégalais montre clairement sa volonté de construire l'avenir du pays sur la base de partenariats industriels mutuellement bénéfiques, en mettant l'accent sur l'échange massif de compétences pour former une abondante main-d'œuvre qualifiée au Sénégal.
Ce document observe également que, malgré les 3 000 milliards d’euros investis en Afrique depuis trente ans par l’aide publique au développement occidentale, auxquels s’ajoutent les investissements chinois et russes, l’écart de bien-être entre les citoyens africains et le reste du monde ne cesse de se creuser.
Président Bassirou Diomaye Faye au Forum Fii Sénégal le 7/10/2025
Au niveau mondial le revenu par habitant a augmenté de 75% au cours des 30 dernières années, en Afrique il n'a augmenté que de 25%
"Le PIB moyen par habitant en Afrique ne représente que 12 % de celui de l'Union européenne, avec un écart de 15 ans en termes d'espérance de vie moyenne. Nous nous attendons à ce que ces différences ne diminuent que marginalement au cours des deux prochaines décennies."
Institute for Security Studies South Africa (juillet 2024) - Source du graphique: MO* magazine 4/9/2024 "L'Afrique, un continent à prendre en compte"
L’Afrique continue d’être considérée comme un simple fournisseur de matières premières, dont la transformation et la valeur ajoutée se font ailleurs, sans véritable transfert de savoir-faire dans les chaînes de valeur industrielles avancées.
Retour d’expérience: le projet belge de migration circulaire
Economie Circulaire du Savoir-Faire Afrique-Europe
Le projet privé belge intitulé "Migration circulaire pour les jeunes professionnels africains hautement qualifiés pour un échange de compétences" (2014-2023) visait à inciter les entreprises à investir 80 000 € par migrant circulaire pour garantir un salaire décent sur 12 mois, ainsi que la prise en charge des frais de visa, de permis de travail et des billets d’avion. Il est apparu que peu d’entreprises belges étaient prêtes à s’engager dans cette démarche, doutant de la préparation de l’Afrique à l’industrialisation moderne. L’Allemagne a rencontré la même situation et aucun autre pays européen n’a lancé d’initiative équivalente.
Une nouvelle approche sans financement préalable
Cette expérience a mené à l’idée de favoriser la création d’une masse critique de partenariats entre des PME industrielles bien établies en Europe et en Afrique. Ces entreprises, disposant de moyens suffisants, peuvent investir dans un billet d’avion pour rendre visite à un partenaire potentiel, visiter son atelier, rencontrer ses clients et, ainsi, établir une relation de confiance et un partenariat durable, sans nécessiter d’investissements conséquents.
Dans ce modèle, le transfert de compétences dans les chaînes de valeur industrielles internationales complexes se fait sans coût important. Le partenaire africain apporte sa connaissance du marché, ses infrastructures, son personnel et sa compréhension des administrations et règlements locaux. Le partenaire européen n’a pas à investir dans des structures commerciales ou immobilières sur place.
L’effet d’une masse critique et la dynamique de la sérendipité
Seule une masse critique de métissage de savoir-faire issus de différentes cultures complémentaires, mais culturellement proches, dans tous les secteurs économiques, permet de transférer l’expertise nécessaire à l’industrialisation moderne de l’Afrique. Ce métissage stimule la sérendipité — la capacité à faire des découvertes fructueuses par hasard — et ouvre la voie à la création de secteurs économiques nouveaux et prometteurs. Ces avancées sont impossibles à réaliser dans le cadre restreint des pépinières d’entreprises traditionnelles.
Actions à entreprendre
Il est suggéré que tous les ambassadeurs de l'Union africaine accrédités en Europe demandent aux ministres responsables de la coopération au développement dans les pays où ils sont en poste d'inciter l'agence locale de coopération au développement à mettre en œuvre deux mesures visant à changer les attitudes envers l'Afrique.
À titre d'exemple, voici une action que le ministre belge des Affaires étrangères, qui est également responsable de la coopération au développement, pourrait entreprendre. Il pourrait demander à son agence de développement, ENABEL, de mettre en œuvre les mesures suivantes :
En Belgique
Dès 2026, mobiliser dix des 1 500 employés d’ENABEL pour organiser cent soirées de débats publics à travers le pays.
Les thèmes abordés seraient : "L’Afrique n’est pas celle que vous croyez" et "L’Europe a besoin de l’Afrique plus que l’inverse".
L’objectif est qu’une centaine de PME belges recherchent des partenariats mutuellement bénéfiques avec des homologues sénégalais.
Le coût de cette action: négligeable.
Au Sénégal : Financer, pendant douze mois, une équipe mixte de cinq jeunes diplômés en gestion des affaires et en génie industriel, chargés d’étudier, par la recherche documentaire, les raisons du succès ou de l’échec de certains pays en développement. Ces cinq jeunes deviendront dès 2026 les leaders d’une vaste campagne de sensibilisation au Sénégal sur le thème "Entrepreneur sénégalais, osez partager votre rêve avec un partenaire étranger". Le résultat attendu est la constitution d’une masse critique d’environ cent PME sénégalaises nouant des partenariats avec des homologues étrangers expérimentés dans le partage au sein de chaînes de valeur internationales avancées. Le coût de cette action représenterait une fraction des budgets alloués par la Belgique au zoning industriel Agropole-Centre (Sénégal).
Résumé
Ce blog présente les leçons tirées d'un projet belge sur la migration circulaire pour les jeunes professionnels africains, en soulignant le manque d'engagement des entreprises et les résultats médiocres des modèles nécessitant un investissement initial important et une coopération au développement traditionnelle au cours des trente dernières années. Il propose une nouvelle approche basée sur la création de partenariats directs entre les PME européennes et africaines, favorisant l'échange de compétences sans coûts majeurs. Des actions concrètes sont suggérées en Belgique et au Sénégal pour construire une masse critique de collaborations, essentielle à la modernisation industrielle de l'Afrique.
12/10/2025 karel.uyttendaele{@}pandora.be
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